A l’occasion du 3è dimanche de Pâques, les Evêques catholiques du Burundi ont adressé un message de paix à la communauté chrétienne et à toutes les personnes de bonne volonté. Ils ont articulé leur adresse autour de cette parole de Jésus ressuscité à ses apôtres : « La paix soit avec vous » ( Lc 24, 36). Après plusieurs exhortations, ils ont épinglé quatre chantiers à privilégier si nous voulons que la paix du Christ soit une réalité dans notre pays : consolidation de la confiance mutuelle dans une administration à l’écoute et au service de tous, réforme de l’instance de la justice, consolidation de la sécurité protectrice de la personne humaine et une prise à bras-le-corps de la question de la pauvreté dans le pays.
Avant de clore leur message, les Evêques ont annoncé que le 09/05/2025, le Saint Père le Pape François va procéder à l’ouverture solennelle de la célébration du Jubilé de 2025 ans de l’Eglise. Tous sommes conviés à nous y préparer.
“JÉSUS VINT, SE TINT AU MILIEU D’EUX ET LEUR DIT: “LA PAIX SOIT AVEC
VOUS’’ (LC 24,36)
Chers frères et sœurs dans le Christ, et vous, hommes et femmes de bonne volonté,
- Nous, Pasteurs de l’Eglise Catholique, vous souhaitons la paix que le Christ nous a obtenue à Pâques, par sa victoire sur la mort. La victoire de Pâques est une victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine, de la vérité sur le mensonge, du bien sur le mal.
- Après sa résurrection, Jésus est apparu à ses disciples pour les affermir dans leur foi afin qu’ils puissent perpétuer sa mission. A chaque apparition, la salutation était toujours la même: “La paix soit avec vous”. Jésus leur souhaitait la paix quand il les rencontrait dans le quotidien de leur vie, en train de vaquer à leur gagne-pain. Il les a aussi rejoints dans leur peur du risque de subir le même sort que Lui.
- Chers fidèles, par les temps qui courent, avons-nous réellement besoin de paix ? Qu’est-ce qui compromet la paix dans nos cœurs, nos ménages, notre société et notre pays ? Puissionsnous accepter de redécouvrir à nouveaux frais ce salut de paix de la part de Jésus-Christ ressuscité afin que nous en tirions ce qui peut nous aider ensemble avec notre pays, à ressusciter avec le Christ.
- Le salut de paix est un salut qui rassérène et affermit la foi
- Ce salut de la part de Jésus ne se comprend aisément que si l’on se souvient des événements tragiques vécus à Jérusalem, de la mascarade de son procès, de son chemin de croix et de sa mort sur la croix. Toute l’espérance tant des témoins que des disciples s’était évanouie comme nous le fait comprendre l’épisode des deux disciples d’Emmaüs[1]. Les Apôtres étaient complètement déboussolés. Il était donc nécessaire qu’ils soient affermis et rassurés pour qu’ils sortent de leur angoisse et leur désespoir. Jésus ressuscité a passé un bon moment à leur apparaître afin de leur apporter une nouvelle espérance. Il leur a ouvert les yeux du coeur pour qu’ils aient une nouvelle conception de Dieu et du sens donné à leur vie. Sa résurrection est advenue comme un nouveau fondement de leur existence.
- Ce salut de paix de Jésus rallume une espérance nouvelle. Il apporte la paix de Dieu dans les cœurs des apôtres et des disciples qui comprennent que Dieu, en Jésus-Christ, a vaincu tout ce qui avilit et ravale la vie de l’homme jusqu’au péché et à la mort. Ce salut recrée et renouvelle le don de la foi. Jésus a envoyé l’Esprit Saint sur ses disciples pour rasséréner leurs cœurs afin qu’ils puissent comprendre de manière renouvelée que la vie de l’homme a une origine et un horizon, à savoir Dieu lui-même. Lorsque les yeux des disciples s’ouvrirent grâce à la puissance de l’Esprit, ils ont ressenti en eux la nécessité de porter la paix du Christ à tous les hommes, y compris ses adversaires qui avaient fini par le faire crucifier.
- Le salut de paix est un salut qui affermit et oriente vers l’avenir
- Nous avons tous besoin de ce salut qui nous fortifie dans la foi, en particulier dans les moments des épreuves qui nous étreignent et bouleversent notre cœur, et surtout lorsque tout semble sans issue à cause de l’ampleur du mal : le mensonge, l’injustice, la haine, la criminalité ainsi que toutes les autres formes de violence qui risquent de s’ériger en maître. Et, des fois, il nous arrive d’être comme les deux disciples d’Emmaüs chaque fois que nous nous révoltons et perdons l’espérance en l’aboutissement de nos projets d’avenir jusqu’à chercher à nous réfugier dans un “ailleurs meilleur”, loin de la mort. C’est dans ces moments critiques que Jésus ressuscité se rend proche de nous et nous assure de la proximité constante de l’amour de Dieu qui s’est fait chair, et il nous réconforte pour avoir connu et traversé les mêmes épreuves. Dieu seul détient la victoire durable, puisqu’Il a aussi vaincu la mort. En Jésus Christ, nous réalisons que Dieu ne saurait jamais abandonner celui qui est juste. Après avoir compris la Vérité de Dieu, nous saisissons que la mort ne peut prévaloir sur la vie, ni le mensonge sur la vérité, ni la haine engloutir l’amour. Ce salut de Jésus ‘‘La paix soit avec vous’’ demeure le point de convergence de toutes nos blessures consécutives aux tragédies cycliques que nous avons endurées avec l’espérance nouvelle que nous apporte le Christ afin d’affronter sereinement les défis à venir.
- Le salut de paix est un salut dont les Burundais et nos hôtes ont besoin
- Pour nous chrétiens engagés dans les divers secteurs de la vie socio-professionnelle du pays, il importe de réaliser que Pâques va de pair avec le renouvellement de notre vie dans tous les aspects de la vie de l’homme et de notre nation. Puisse la victoire du Christ nous être un ferment nouveau, afin que nous acceptions de nous dépouiller du vieil homme[2], pour être renouvelés dans le Christ mort pour nous introduire dans la communion avec son Père et entre nous. Dieu est notre Père et nous appelle sans cesse à vivre en reconnaissant cette commune filiation.
- Ici chez nous au Burundi, la célébration de Pâques advient au moment où notre pays s’engage à consolider les valeurs de vérité en cherchant à entrer dans la dynamique du pardon et de la réconciliation. C’est un travail qui requiert un esprit de sagesse et d’amour. Nous voulons consolider la confiance mutuelle basée sur la paix et la réconciliation en tenant compte des tragédies récurrentes que le Burundi a traversées. Par ailleurs, nous nous approchons tout doucement des échéances où plusieurs catégories de nos concitoyens se remémorent tragiquement la perte des leurs suite à ces tourmentes. Cette période survient également au moment de la préparation des prochaines élections de 2025. C’est donc une opportunité pour renouveler notre vie en empruntant la voie tracée par Jésus-Christ ainsi que la mystique liée à la dynamique de la paix. Comme chrétiens, il est de notre devoir d’offrir notre contribution pour que cette paix du Christ soit privilégiée. C’est pourquoi, nous voudrions revenir sur quatre aspects liés à la période actuelle pour qu’ils soient éclairés par la lumière de la Parole de Dieu.
Premièrement: Pour une consolidation de la confiance mutuelle dans une
administration qui est au service de tous et leur reconnait le droit d’expression
- De par le passé de notre pays, nous savons combien le Burundi, de manière récurrente, a sombré dans la violence suite à l’exclusionnisme et à la recherche exacerbée du pouvoir. Même aujourd’hui, cela demeure pour nous une préoccupation vu qu’il existe des signes de ceux qui voudraient nous faire revivre le système politique révolu du monopartisme. Il est donc nécessaire que soit renforcé un régime qui fasse place à toutes les formations politiques y comprises celles qui sont en opposition à l’égard du Parti au pouvoir, cela afin de permettre à tous les citoyens d’exprimer leurs idées par les medias de l’Etat, l’organisation et la tenue de meetings en respect de la loi, sans aucune entrave. Cependant, s’organiser et tenir des réunions politiques ne suffit pas; encore faut-il que tout soit mis en oeuvre afin que soient garanties les libertés individuelles pour pouvoir s’atteler au développement individuel et communautaire. Ainsi, il sera possible de mieux nous préparer à des échéances électorales prochaines, inclusives, libres et transparentes. De telles élections recevraient alors, sans réserve, l’aval de tous.
- Des discours et des décisions prises mais sans lendemain décrédibilisent les institutions étatiques, surtout lorsque les décideurs ne rendent pas compte de l’état d’avancement et des réalisations en rapport avec leurs responsabilités. Puisque le Gouvernement se présente comme « Reta mvyeyi », comment pourrait-il correspondre à cette identité s’il ne développe pas une gestion inclusive, garantissant et promouvant le Bien Commun ? Au moment où ceux qui sont membres d’autres partis que celui au pouvoir se retrouvent étiquettés comme des ennemis et ne peuvent accéder à des postes de responsabilité alors qu’ils en sont capables, il devient dès lors difficile de s’engager au service du bien coommun. Il est, donc, nécessaire que les Burundais puissent encore s’asseoir ensemble pour penser un système de gouvernement qui puisse accorder la parole à tous, se soucier du bien commun et ainsi ramener la confiance dans les instances administratives.
Deuxièmement : De la réforme de l’instance de la justice
- Les leaders de notre pays, à commencer par le Chef de l’Etat, ne cessent de rappeler sans cesse et de fustiger les conséquences de la culture de l’impunité. Au fur et à mesure que l’impunité s’établit dans la société, le peuple perd la confiance dans les institutions judiciaires et risque ainsi de se décourager, de se faire justice et de commettre des crimes. Il existe des agents de la justice qui expriment des préoccupations pour leur sécurité à cause
du harcèlement de la part de certains cadres les contraignant à enfreindre le droit au lieu de défendre la vérité et la justice.
- La question de la justice concerne également les modalités d’embauche au niveau de l’Etat. Des plaintes nous parviennent de diverses personnes que l’accès aux postes de travail ne tient pas compte des connaissances, ni du savoir-faire ni des compétences professionnelles, mais qu’il est conditionné par le seul critère de militantisme dans le parti au pouvoir et/ou la capacité de verser des pots de vin.
Cette pratique véreuse entraine l’incompétence et le manque de productivité, la rémunération des fainéants et des pilleurs de l’Etat rendant ainsi endémique la pratique de la corruption.
- Il convient que les leaders ainsi que le personnel de l’appareil de justice, à tous les niveaux, travaillent d’arrache-pied afin que tout citoyen burundais et tout résident se sentent en sécurité ; que celui qui est lésé soit rétabli dans ses droits et vive en paix parmi les siens et ses biens. En effet, comme nous l’avons dit, toute impunité face au mal commis, cause angoisse et rancoeurs dans les coeurs entrainant ainsi le désordre et la guerre.
Troisièmement: Pour la consolidation de la sécurité protectrice de la personne humaine
- La sécurité est le trésor le plus précieux de toute personne. Constater que dans notre pays, il est des personnes qui sont horriblement assassinées ou kidnappées et portées disparues pour des raisons politiques ou autres intérêts macabres, fait frissonner. Nous en profitons pour exprimer notre compassion et solidarité à l’endroit des familles ayant perdu les leurs ces derniers temps. Quand bien même quelqu’un serait appréhendé et arrêté par les instances habilitées, la justice doit se dérouler dans le respect de la loi, de sorte que la personne soit détenue dans un endroit connu et accessible aux membres de sa famille.
- Veiller sur la sécurité dans la quadruple synergie demeure indispensable pour le pays.
Cependant, il revient surtout aux forces de sécurité et de défense, d’être beaucoup plus vigilantes pour protéger la population et ses biens.
- Nous ne saurions parler de justice sans lancer un appel pathétique à tous ceux qui nourrissent encore des sentiments de verser le sang des paisibles citoyens comme moyen de faire entendre leur idéologie ou d’ambitionner le pouvoir politique. Nous exhortons instamment quiconque serait encore habité par cet esprit à remettre l’épée dans le fourreau pour s’atteler à édifier la nation en empruntant les voies qui respectent la dignité de la personne humaine et qui privilégient le dialogue et la concertation.
Quatrièmement: Pour une prise à bras-le-corps de la question de la pauvreté dans le pays
- Nous saluons les efforts déployés par les instances du pays qui se donnent pour augmenter et booster la production agro-pastorale. Toutefois, force est de constater que l’économie du pays peine à se relever. De fait, la flambée des prix sur le marché, la dépréciation progressive de la monnaie burundaise, la rareté du carburant et des autres produits de première nécessité, le chômage, constituent des raisons qui condamnent la plupart à croupir dans une pauvreté qui ne cesse de s’aggraver. Il est donc urgent que la question de la pauvreté soit profondément étudiée, tout en instaurant des mécanismes de suivi-évaluation.
- Afin que la population mène une vie paisible, sans désespoir, il est nécessaire que les instances habilitées veillent scrupuleusement au bien commun et que les auteurs des détournements et malversations soient arrêtés et publiquement sanctionnés conformément à la loi.
- Le salut de paix est catalyseur de promotion de paix et de confiance
- Chers fidèles, et vous toutes les personnes de bonne volonté, de nouveau Jésus nous dit: “La paix soit avec vous”. Et c’est lui aussi qui nous dit:“ Heureux les artisans de paix, car il seront appelés fils de Dieu”[3]. Etant donné que nous sommes en train de célébrer les festivités de Pâques, redynamisons davantage l’oeuvre de promouvoir la paix et la réconciliation comme il sied aux enfants de Dieu. Et pour que cette oeuvre soit pérenne, elle doit se fonder sur la vérité, la justice, l’amour et la liberté.
- Implorons la proximité de Dieu en toutes circonstances afin que nous soyons infatigables dans la promotion de la paix dans nos foyers, au sein de la communauté, dans notre pays, dans les pays des Grands Lacs et dans le monde entier.
- Nous ne pourrions clore ce message sans vous annoncer que le Saint Père, le Pape François, ouvrira solennellement le Jubilé de 2025 ans de l’Eglise en date du 09 mai 2024. Nous vous invitons tous à bien entrer dans ce jubilé et à le célébrer dans l’espérance ancrée dans la victoire du Christ, Roi de paix.
- Daigne la Vierge Marie, Reine de la Paix, à qui le Burundi a été dédié, intercéder pour nous, afin que la Grâce de Jésus notre Seigneur, l’Amour de Dieu le Père et la Communion de l’Esprit-Saint soient toujours avec nous tout au cours des temps que nous vivons. Fait à Bujumbura, le 21/03/2024 , Vos Evêques